Week-end dans les Cévennes, Boire et Déboires de naturalistes

Une sortie groupe jeunes est pluvieuse, ou elle n’est pas. On ne saurait d’ailleurs qualifier de « sortie groupe jeunes » une équipée qui ne connaitrait pas ces quatre fléaux que sont l’échec (la coche ratée si vous préférez), le pif paf pouf, la sangria et, donc, la pluie. Il n’y a par conséquence aucune réserve à émettre quant au caractère groupejeunesque de ce week-end dans les Cévennes. Nous avons trouvé novembre au mois d’août, mais qu’importe. Comme dit précédemment, il en faut beaucoup plus pour arrêter la LPO du futur.

Commençons par remercier Gautier, dont le point de rendez-vous GPS m’a permis de sortir des sentiers battus, car il est vrai qu’on profite bien davantage de Saint Sauveur de Camprieu à l’abris des hordes de touristes qui assiègent les terrasses du centre-ville et la riviera du bonheur. Et du bonheur il en serait question jusqu’au crépuscule puisque le lac, la vallée, la chapelle et à peu près tout ce que nous allions toucher des yeux s’était vu octroyer la particule « du Bonheur ». Nous allions, en revanche, être moins heureux dans notre quête de la Chouette de Tengmalm qui hante, parait-il, la vieille forêt moussue de l’Aigoual. Heureusement les amphibiens et mammifères rattrapaient le coup, et si nous rêvions tous en secret d’apercevoir un loup (si commun dans notre pays) le spectacle de deux renards glissant dans les hautes herbes au milieu des Aubracs suffit largement à emplir nos yeux de cette lueur que le soleil nous refuse depuis l’invention du groupe jeunes. La petite rivière recelait, quant à elle, quelques larves de Crapauds épineux et d’Alytes accoucheurs, en plus de la traditionnelle Grenouille rousse.

Le fond de la vallée du Bonheur est démarqué par la Chapelle du même nom, une ruine magnifique, Machu Picchu de l’art roman, dont nous allions découvrir trop tard les restrictions préfectorales (de mes fesses). Bilan ornitho de l’après-midi : deux Pies-grièches écorcheurs, une poignée de Fauvettes grisettes, quelques Bruants jaunes et un Pic noir.

Quatre tours de rond-point et un demi-tour plus tard, nous atteignons le camping de l’Espérou qui, comme son nom ne l’indique pas, est très facile à trouver. La soirée fut humide, et ce malgré l’installation ingénieuse de bâches autour de la scène (le dernier repas avant l’hypothermie). Nous avons partagé le pain sec et la sangria avec une ferveur proche de l’exaltation et prié pour le salut de Noé qui, loin d’avoir prévu le déluge, n’avait pour échapper la mort qu’une tenue de plage. A la bruine devait succéder le vent, puis la brume, soient les conditions idéales pour tendre un hamac entre deux pins et laisser aux éléments le soin de nous bercer jusqu’au lendemain. Lendemain que j’attendais avec une impatience excessive tandis que je me tortillais désespérément dans l’espoir de trouver une position qui sorte mes pieds de leur glacière et limite les entrées d’air dans le duvet. Le hamac possède néanmoins quelques avantages, notamment celui de ne pas laisser le sommeil séparer le naturaliste de sa faune chérie. Vers 2h un jeune moyen-duc chougnait dans la forêt, à 5 un Grand tétras paradait dans le hamac de Samuel, à 7 les Mésanges noires et huppées investissaient les pins au-dessus de nos têtes et à 8 une bande d’écureuils encanaillés canardaient les tentes des restes de leur petit déjeuner. Au même moment, Samuel bondissait hors de son hamac, tremblant de froid, et, sans quitter sa couche, courrait à l’assaut des myrtilliers se vider la vessie, donnant ainsi l’impression d’un zophobas en mue tiré du lit par la fringale d’une perdrix. Le voir sautiller de rage sur sa couverture de survie, lui reprochant son manque d’efficacité, restera un moment fort du week-end.

Lorsque tout le monde fut réveillé et que les tartines miel-pomme de pin furent avalées, nous quittâmes à regret le Camping de l’Espérou. Accompagné de Gautier, Claire et Paola, je montais dans la voiture qui devait se rendre au sommet du Mont Aigoual. La seconde voiture, chargée de Noé, Quentin et Samuel, était animée d’un tout autre rêve. Et ce dernier snoba la mythique montagne des Cévennes en ces termes : « ça m’est aigoual de voir le sommet, tout ce que je demande c’est un lézard vivipare ! ». Le brouillard et le vent anéantissant toute perspective une fois arrivé sur ledit sommet, nous avons rebroussé chemin. C’est ainsi que nous avons pris la direction du lac des Pises dont la forêt abrite une authentique tourbière à sphaignes. Or, comme tout le monde le sait, le Lézard vivipare vit en eau stagnante car quand l’eau est vive, il part. En conséquence, et quand bien même aucune observation de l’espèce n’avait jamais été notifiée autour du lac, nous conservions l’espoir fou de découvrir le tout premier spécimen entre deux touffes de carex (ce qui n’aurait pas fait tache dans le palmarès de notre petit collectif, creux comme une loge de Tengmalm abandonnée). S’il y eut bien un miracle, il ne concerna pas le Lézard vivipare mais le Soleil lui-même, qui décida que la sangria et les frimas de la nuit n’avait pas assez donné de couleur à nos poireaux de PMU et qu’il serait injuste de priver plus longtemps les reptiles de ses rayons. On se consolât en s’empiffrant, vautré dans l’herbe au milieu des alouettes petite alouettes. On se goinfra de tortillas riz au curry, double sauce piquante, tomate, épices mexicaine, fourme d’Ambert et j’en passe. On termina par un bout de roquefort et de melon, le premier pour éteindre l’incendie du piment et le second pour masquer l’odeur du premier. Inutile de préciser que cet excellent et fort léger repas assomma plusieurs d’entre nous, dont les filets de bave confluèrent jusqu’à rejoindre les eaux tranquilles du lac.

Le bref passage dans la tourbière de Montals ne restera pas dans les annales. On retiendra tout de même la performance mémorable de l’un d’entre nous qui, souhaitant éviter un ruisseau préféra s’embourber deux mètres plus loin au prix d’une envolée fantastique dont les sauterelles parleront encore à la fin de l’été. Nous avons laissé dans la tourbe nos derniers espoirs de lézard et la chaussure de Noé.

Pour oublier cet échec, nous avons fait un détour par la cascade d’Orgon, acheté du fromage et bu un chocolat chaud sur le sommet du Mont Aigoual enfin libéré de son voile de brume, étirant le panorama jusqu’à la mer par-delà les gorges de la Vis, la plaine de Londres, le Pic Saint Loup, les garrigues et Montpellier. Un an de sorties avec le groupe jeune s’étalait ainsi sous nos yeux. Comment ne pas envier ceux qui, bientôt, prendront la relève ?

Remerciements :

A Gautier pour les blagues, le hamac et la tome du Salagou,

A Samuel pour les têtards, le zophobas et la sauce piquante,

A Noé pour la richesse des costumes, le pessimisme éclairant et les performances athlétiques,

A Claire pour les tours de rond-point et les demi-tours en cascade,

A Quentin pour les bières et la couverture de survie,

A Paola pour être toujours en vie (aux dernières nouvelles).

Signé : la société des ornithos immatures Hergard

Par Hugo Juillard

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