Bernard Latour est bénévole au pôle conservation de la LPO Hérault. Il a été missionné dans le cadre du Plan National d'Actions en faveur de l'Aigle de Bonelli pour suivre un nouveau couple installé dans le Saint-Chinianais. Ses observations sont réalisées dans un cadre scientifique et dans le respect des oiseaux afin d'éviter tout dérangement sur cette espèce si rare.
Découvrez le témoignage de ces nombreuses heures d'observations privilégiées.
Voilà à peu près quatre cents heures que j'ai passé avec eux. depuis bientôt deux ans. Même si je suis à quelques centaines de mètres de leur aire, je sais qu'ils m'observent, eux aussi. J'ai le sentiment de faire partie de leur famille. J'ai ressenti des joies immenses et souvent des inquiétudes. Eux, c'est un des couples d'Aigles de Bonelli qui vivent dans l'Hérault. Moi, un bénévole de la LPO qui ai accepté avec fierté la mission d'observer ce couple. Par tous les temps ! Depuis les froides et venteuses journées de décembre et février jusqu'aux infernales stations debout pendant de longues heures sous le soleil de plomb de juin ou juillet.
La première année de suivi, en 2014, le couple n'a pas eu de petit. La femelle a couvé longtemps mais l'oeuf ou les oeufs n'ont rien donné. Il faut dire que le poste d'observation est en contrebas du nid, il est donc impossible de savoir si la femelle a pondu, combien il peut y avoir d'oeuf, un ou deux et au moment de la naissance il est impossible de voir les poussins avant qu'ils ne se redressent. Seules les comportements du couple et surtout de la femelle nous aident à interpréter ce qui se passe dans le nid.

L'année dernière, c'était ma première année de suivi, j'ai commencé les observations en octobre. C'est à cette date que commencent les parades. Le mâle effectue des vols "en feston" : il tombe comme une pierre puis dans une formidable ressource, reprend de l'altitude et cela à plusieurs reprises. C'est très impressionnant, on imagine le plaisir qu'il doit ressentir dans ces moments. Puis, beaucoup plus matériel, le couple se pose sur les arbres environnants, arrachent des branches vertes ou mortes et rechargent le nid. Cette recharge, ils la feront longtemps, bien après la naissance des petits.

Cette année là, donc, la femelle a pondu entre le 20 et le 25 février. Elle va couver pendant environ 40 jours. Pendant ce temps là, le mâle chasse, ou passe le temps ! Quand il apporte une proie, il la dépose à quelques dizaines de mètres du nid, sur un replat d'herbe. La femelle quitte le nid pour aller manger, pendant qu'elle mange, le mâle couve. C'est vers le 1er avril que le comportement de la femelle a changé : elle se lève souvent et regarde le nid. Elle quitte souvent le nid pour aller chercher des branches vertes qu'elle dépose délicatement dans le nid. Il me faudra attendre le 21 avril pour voir le poussin, soit près de trois semaines après sa naissance. La mère nourrit le poussin toutes les heures pendant une dizaine de minutes. Il grandit vite. Le 13 mai, ce sera le baguage. C'est une femelle d'1,6 kg. L'opération dure quelques heures et la vie de famille reprend son cours. On a toujours peur de les traumatiser mais le stress ne dure pas très longtemps et l'oiseau a vite fait d'oublier (enfin, je suppose) et puis c'est l'occasion de se présenter, elle et moi !
Les jours passent et l'aiglonne prend des couleurs brun fauve, Elle s'essaie en battant des ailes dans le nid mais n'ose pas le grand saut. Elle commence à sortir du nid et saute sur les rochers aux alentours mais toujours à quelques mètres du nid. Et au matin du 15 juin, le nid est vide ! Le couple survole le nid, on dirait qu'ils cherchent l'aiglonne...où peut-elle être, perdue quelque part, électrocutée sur la ligne électrique juste en contrebas ? je suis inquiet !
